par Kamel Daoud
Du lointain Canada, Sid Ahmed Ghozali, mauvais politicien mais grand analyste et biographe du régime, l'a résumé quelques heures avant la mort de Chadli : le système algérien est resté boumediéniste tout en se débarrassant de Boumediene. Et quand Chadli est mort avant-hier, on l'a compris : après la mort de Boumediene, la dé-boumediénisation (sur le mode de la déstalinisation) n'eut lieu qu'à la présidence, pas ailleurs. Ailleurs le système est resté policier, autoritaire, légitimiste par la force, malgré ses apparences, violent et répressif et avec la même conviction de tuteur suprême de la nation, propriétaire final et gardien du territoire. Du coup, pour certains Algériens, Chadli a été la première société-écran algérienne. Avec lui ont émergé les premiers lobbys, les insolences, les «centres», les «salons» et les parrains et les «services» devenus holding d'affaires et d'influence. Avec Chadli, dit la biographie du régime, est né le divorce qui perdure entre «responsabilité» et pouvoir. Depuis lui, celui qui décide n'est pas celui qui parle et celui qui parle a un rideau derrière le dos. Chadli est le Père, malgré lui, de l'impunité qu'inaugure cette équation.
Du coup, l'image ambiguë de cet homme : sous son règne on a réprimé et tué, en Kabylie pour le printemps berbère et partout pour octobre 88. Mais Chadli, à cause de ce divorce entre pouvoir réel et pouvoir apparent, ne semble pas «coupable» entièrement aux yeux de beaucoup d'Algériens. Il a tué mais n'a pas commis de crime. Paradoxe algérien : les événements d'octobre sont dits «printemps» algérien mais Chadli n'est pas dictateur de cette époque alors que tout printemps suppose un dictateur qui gagne ou qui perd. D'où la première arnaque de l'histoire algérienne moderne : les enfants d'octobre voulaient «dégager» le système, le système a dégagé Chadli et on a été trompés et roulés. Octobre est qualifié de «révolution» avant l'heure mais en même temps Chadli est dit grand ami par Bouteflika. Pour certains, Chadli a fui comme Ben Ali, aurait dû être jugé pour tirs sur manifestants comme Moubarak et a été lynché (médiatiquement) comme Kadhdafi et est parti en VIP comme Ali Salah du Yémen. Pour d'autres, non : il a tenté de démocratiser un système qui a fini par se retourner contre lui et il a été le premier à payer l'équation insoluble entre islamistes et respect du choix des urnes. D'ailleurs, effet curieux de l'histoire, Boumediene a été fasciné par Nasser l'Egyptien là où le général Tantaoui l'Egyptien (et ses militaires) ont été fascinés par la solution algérienne de 1992 face au cas Moubarak.
Et nous dans cette affaire ? Rien. On ne nous dit rien. Pas de devoir de mémoire ni d'obligation d'expliquer et de s'expliquer. Ces gens-là partent un à un sans rien nous dire sur ce qu'ils ont fait ou pas fait de notre pays, qui les a tués, qui ils ont tué. Entre eux, en club fermé et cercle sourcilleux et maquis assis. Question de fond : cet homme est-il coupable ? Réponse : oui. Avec nos condoléances aux siens et aux victimes d'octobre et du printemps berbère.
lequotidiendoran 08/10/2012
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