Rencontre RND-FCE
Ahmed Ouyahia prône la continuité dans la politique économique de l’Algérie. Ce lundi 9 avril, le chef du RND a exposé aux patrons du FCE, les grandes lignes du programme économique de son parti. Dans le débat qui a duré près de deux heures, Ouyahia a enfilé son costume de Premier ministre pour répondre aux questions des patrons. C’était inévitable pour le premier responsable de l’Exécutif.
Les chefs d’entreprises, venus nombreux, ont profité de l’occasion pour exposer leurs revendications et obtenir des explications sur certaines décisions du gouvernement. Le débat intense, parfois passionné, a profité à Ouyahia, très à l’aise dans sa confrontation avec les patrons, pour exposer et défendre sa vision économique, critiquer poliment les chefs d'entreprises et tirer le signal d’alarme. Flatteur, ferme, homme de dossiers, libéral et nationaliste, Ouyahia s’est également voulu réaliste en partageant avec les patrons les inquiétudes de l’après‑pétrole.
Priorité à l’entreprise algérienne pour l’accès à la commande publique
Ouyahia commence par annoncer une nouvelle : « Au RND, nous partageons 25 mesures des 50 que vous avez développées », a‑t‑il dit, pour ensuite développer le programme de son parti, tout en assumant pleinement son bilan à la tête du gouvernement. Dans son exposé, Ouyahia a voulu séduire les patrons. Libéral, mais favorable à l’entreprise algérienne, le chef du RND développe, en prenant en compte la situation régionale (partition du Mali) et les revendications patronales. « Ce programme se décompose en sept volets », a‑t‑il dit.
Le premier est « la préservation d’une Algérie unie dans son territoire et son peuple ». Le Premier ministre ajoute pour rassurer : « on ne fait pas de distinction entre les entreprises publiques et les entreprises privées ». Pour Ouyahia, l’entreprise algérienne doit se préparer à la compétition avec le monde à partir de 2020, date de l’entrée en vigueur du démantèlement tarifaire avec l’Union européenne.Le chef du RND, propose une série de mesures à mettre en œuvre durant cette période de transition pour développer l’entreprise algérienne, notamment lui permettre d’accéder à la commande publique en priorité.
Dans le programme du RND, figure la maintien de la règle 49/51 sur l’investissement étranger, la présence de l’État à hauteur de 34 % durant cinq ans dans le capital des entreprises privatisées, la création de 40 zones industrielles, le transfert des eaux de la nappe albienne du Sahara vers les Hauts Plateaux, l’allègement des charges fiscales sur les bénéfices réinvestis, le maintien des 200 milliards de dinars de soutien annuel à l’agriculture…
« Je mets 10 milliards pour que ça brûle »
M. Ouyahia a justifié le soutien que l’État accorde aux entreprises publiques par la faiblesse du secteur privé en croissance et le fait que les étrangers ont boudé l’Algérie. Dans son exposé, il a reconnu qu’il est plus facile d'importer que d’investir en Algérie. M. Ouyahia évoqué les lobbys mafieux qui entravent la lutte contre l’informel, l’utilisation du chèque et la facture dans les transactions commerciales. Pour la première fois depuis les émeutes de janvier 2011, le Premier ministre a fait une confidence lourde de sens : « les gens disaient, je mets 10 milliards et nahrgha [pour que ça brûle !]. Vous voulez le chèque ? ».
Avant de s’adresser aux patrons sur les dangers de l’économie parallèle : « à l’allure où nous allons, vous disparaîtrez ». Il poursuit : « avez‑vous vu quelqu’un, dans aucun pays au monde, venir avec un paquet d’argent et acheter 60 voitures ? Cela s’est passé lors du salon de l’automobile ». « L’informel est la plus grande menace sur l’économie », a‑t‑il dit, appelant « à un djihad contre ce phénomène ».
Ouyahia à Rebrab : « vous êtes une fierté pour ce pays »
Le patron de Cevital Issad Rebrab a pris la parole pour dire au Premier ministre que les problèmes algéro‑algériens sont le résultat du manque de dialogue entre les gouvernés et les gouvernants. « Pourquoi les autorités ne veulent‑elles pas libérer l’entreprise algérienne ? », s’est interrogé Rebrab qui a interpellé le chef du RND sur la mesure obligeant les privés algériens à s’associer avec le public pour investir dans certains secteurs. En réponse, Ouyahia n’a pas usé de la langue de bois. « Vous êtes un grand capitaine d’industrie », a‑t‑il commencé. « Vous avez rencontré deux problèmes. Le port (projet Cap 2015) et la pétrochimie », a précisé Ouyahia, rappelant que l’investissement dans les ports n’était pas encore ouvert au privé. Pour la pétrochomie, il a dit qu’il n’y a aucun véto. Tout comme pour la sidérurgie.
Le Premier ministre a reconnu un glissement sur l’application de la règle 49/51 relative à l’investissement étranger au privé national. « Ce glissement a duré une année et quelques mois avant de s’arrêter », a‑t‑il assuré. Le Premier ministre a recommandé à Rebrab d’être patient, courageux et de savoir naviguer comme un grand capitaine d’industrie pour éviter les obstacles. « Vous êtes la fierté de ce pays », lui a‑t‑il lancé.
Le Premier ministre s’est prononcé contre l’instauration dans l’immédiat du week‑end universel comme réclamé par le FCE. Il a demandé aux patrons de balayer devant leur porte avant de critiquer le gouvernement sur ses lacunes. Il a mis en évidence, les faiblesses du patronat algérien, plus enclin à importer qu’à produire. « Dans le médicament, il y a 200 distributeurs et moins de 10 fabricants », a‑t‑il dit. Dans l’automobile, « on avance sur un terrain [camions, NDR] qui n’est pas envahi par les commerçants algériens ». Allusion aux concessionnaires automobiles et aux difficultés d’attirer un investisseur dans la fabrication de voitures. « On a importé les marques [de voitures, NDR] les plus bizarres au monde », a‑t‑il déploré.
Le Premier ministre a demandé aux patrons de dénoncer dans la presse les comportements bureaucratiques de l’administration. « Quand l’administration vous ferme la porte, utilisez la presse », a conseillé Ouyahia qui a lancé un appel aux opérateurs privés intéressés par la création d’une entreprise de fret maritime. « Notre flotte a coulé », a‑t‑il reconnu.
La menace est proche
À la fin du débat, M. Ouyahia a dit que le gouvernement était bien conscient de la menace qui pèse sur l’Algérie du fait de sa dépendance vis‑à‑vis des hydrocarbures. « La menace n’est pas très lointaine. Si on ne fait pas de découvertes d’hydrocarbures importantes, on sera importateur sans ressources pour importer dans 15 ans », a‑t‑il affirmé.
Le Premier ministre, qui s’est voulue alarmiste, partage l’avis des experts et du FCE sur la nécessité de construire une économie moins dépendante des hydrocarbures. « On approche d’un moment où la rupture sera brutale », a averti M. Ouyahia qui a rappelé la période difficile du milieu des années quatre‑vingt‑dix, où le prix de la baguette de pain était passé de 1 DA à 7,5 DA en une nuit ! « Je me demande parfois si cela s’est produit sur une autre planète. Si on n’avait pas vécu le terrorisme, que se serait‑il passé ? ».