La désignation de Tayeb Belaïz à la présidence du Conseil constitutionnel est-elle constitutionnelle ?
Jeudi 29 mars, la Présidence de la République annonçait à travers un communiqué de quelques lignes la nomination de Tayeb Belaïz à la tête du Conseil constitutionnel (CC) en remplacement de Boualem Bessaïh, 82 ans, arrivé en fin de mandat en septembre 2011. Aucune précision n’a été avancée sur le choix de Tayeb Belaïz alors qu’il est toujours ministre de la Justice, poste qu’il occupe depuis bientôt neuf ans. A‑t‑il démissionné de son poste ? Aucune indication. Aucune explication non plus sur les raisons de la désignation de Tayeb Belaïz à ce poste sensible dans la hiérarchie de l’État.
Ancien fonctionnaire du ministère de l’Intérieur, ancien magistrat, ancien président de la Cour de Sidi Bel Abbès, Tayeb Belaïz, 64 ans, originaire de Maghnia, dans la wilaya de Tlemcen, a également été conseiller à la Cour Suprême. Il est entré au gouvernement avec la venue d’Abdelaziz Bouteflika au pouvoir en 1999. Dès lors, il est réputé proche de l’entourage du chef de l’État.
Un choix tactique ? Possible. Il reste que le maintien de Tayeb Belaïz à son poste de ministre de la Justice pose problème. Il est même contraire à la Constitution puisque l’article 164 précise qu’aussitôt élus ou désignés, « les membres du Conseil cessent tout autre mandat, fonction, charge ou mission ». Ainsi, selon ce texte, Tayeb Belaïz doit démissionner de son poste actuel, sans quoi il serait dans la violation pure et simple de la Constitution, le comble pour un ministre de la Justice !
Le président de la République lui a‑t‑il demandé de quitter ses fonctions ? Le cas échéant, qui va le remplacer, sachant que la durée de vie du gouvernement que dirige Ahmed Ouyahia ne peut pas dépasser les deux mois dans la mesure où un nouvel Exécutif sera désigné après les élections législatives du 10 mai 2012 ?
Les observateurs se demandent aussi s’il serait normal de laisser le poste de ministre de la Justice vacant alors que ce département aura un rôle important à jouer dans le suivi de l’opération électorale. La présence des magistrats lors du prochain scrutin est présentée comme un gage de régularité et de transparence de la consultation électorale pour la désignation de la chambre basse du Parlement. Tayeb Belaïz ne peut donc pas être juge et partie, assurer le déroulement des élections, d’une manière ou d’une autre, et valider ensuite les résultats du vote. L’une des missions du Conseil constitutionnel est justement d’officialiser les résultats des urnes.
Outre le fait que cette position soit anticonstitutionnelle, le cumul de deux postes par Tayeb Belaïz peut suggérer la préparation d’une fraude par anticipation. D’où la nécessaire réaction des partis impliqués dans la course électorale. Ceux‑ci gardent curieusement un silence lourd deux jours après l’annonce présidentielle.
Sur un autre plan, la Présidence de la République n’a rien dit sur la non‑désignation à temps d’un président du Conseil constitutionnel alors que le mandat de Boualem Bessaïh prenait fin en septembre 2011. Qu’en est‑il des lois votées par les deux chambres du Parlement durant cette période ? Sont‑elles constitutionnelles ? Avec un président ayant achevé son mandat, et donc privé de toute qualité légale et morale de décider, le Conseil constitutionnel n’était plus en mesure de se prononcer sur les lois adoptées par l’APN et le Sénat. Pourtant, cela n’a pas empêché le gouvernement de mettre en application ces textes. Sommes‑nous dans une situation de totale illégalité ? Le mandat de deux autres membres du Conseil constitutionnel, Tayeb Ferahi et Dine Bendjebara a également expiré. Rien n’a été dit officiellement sur leur situation et sur leur remplacement. Cette manière étrange de gérer les institutions de l’État algérien doit susciter le débat. Un débat urgent.
tsa 31/03/2012