07/12/2011

L’insoutenable précarité de l’emploi

Un rapport de la Banque mondiale fait le diagnostic du monde du travail en Algérie



L’emploi non permanent domine le salariat. Le CDD est devenu la règle d’or pour le secteur privé. La fragilité de la politique algérienne de l’emploi résiderait dans son incapacité à conserver les postes de travail créés.

Si le gouvernement algérien se vante d’avoir relevé le pari de ramener le chômage à la barre des 10%, il ne peut pas en dire autant sur la stabilité de ces postes de travail. Un rapport de la Banque mondiale, réalisé par le sociologue et chercheur Mohamed Saïb Musette avec la collaboration de Mohammed Meziani, met en garde contre la précarité de l’emploi qui tend à se généraliser en Algérie.Le rapport en question relève notamment le fait que le niveau de l’emploi a progressé : ils étaient 6,7 millions de travailleurs en 2003, ils sont estimés à 9,7 millions en 2010, soit un gain de 3 millions d’emplois nouveaux. La création d’emplois est surtout à l’avantage du secteur privé.
Des emplois, certes, mais à condition de pouvoir les conserver. C’est là que réside la fragilité de la politique algérienne de l’emploi. «La notion de flexibilité a été introduite dans la loi 90-11 sur les relations du travail», peut-on lire sur le document. Cette brèche ouverte à la flexibilité de l’emploi (le CDD par exemple), qui devait être une exception, est devenue la règle pour le secteur privé. Elle est aussi appliquée, de manière exceptionnelle, par le secteur public et même la Fonction publique, avec le recrutement de «vacataires» et de «contractuels» qui ne sont pas des «fonctionnaires».Les travailleurs se retrouvent ainsi coincés dans des situations précaires qui durent.
Les chiffres repris dans le rapport de la Banque mondiale montrent que la part de l’emploi «permanent» est passée de 65% en 2003 à 49,7% en 2010. Celle du non permanent, estimée à 35%, a grimpé à 50,3%. «L’événement tant appréhendé s’est finalement réalisé en 2010 : l’emploi non permanent domine le salariat», tranchent les rédacteurs du rapport. Ils expliquent cet état de fait par l’ouverture des services – notamment du secteur de l’éducation et la formation – au secteur privé reste à achever. Puis le CDD est devenu la règle d’or pour le secteur privé. Ce processus de libéralisation de l’économie algérienne est encore au stade primaire de capitalisme.L’une des solutions résiderait dans une stratégie qui flexibilise l’emploi sans pour autant mettre en danger la sécurité, ce qui conduirait à la précarité.
Le défi de l’accès à l’emploi
L’accès à l’emploi «permanent» reste, d’après les termes des experts, «un défi, sinon un privilège pour une minorité». La percée du secteur privé, qu’on sait peu soucieux de l’octroi de postes stables, accroîtrait cette tendance.
A en croire le rapport de la Banque mondiale, le secteur privé en Algérie a connu un essor fulgurant ces dernières années ; il domine actuellement le secteur public dans l’ensemble des branches d’activité, à l’exception des services. L’emploi salarié a connu un gain de près de 2 millions de postes entre 2003 et 2009 avec une contribution de 70% du secteur privé et de 30% du secteur public.
L’agriculture est passée, depuis les réformes, du public au privé, avec une part de 97% des emplois en 2009. Les entreprises dites «stratégiques», comme celles activant dans les hydrocarbures ou l’énergie, s’ouvrent partiellement au privé. La part des emplois du secteur privé est estimée à 99% dans le commerce, 95% dans le BTP et 69% dans l’industrie.
Les entreprises privées sont pour la plupart de petite taille, avec une moyenne globale de 4 emplois/unité et elles utilisent encore une main-d’œuvre d’aide familiale, ce qui induit une faible syndicalisation des travailleurs.
Et comme la plupart des salariés du secteur privé exercent dans l’informel, ils ne peuvent bénéficier du droit à une représentation syndicale. Selon un ancien directeur général de la CNAC, cité dans l’étude, «des entreprises qui multiplient les formes atypiques de contrats de travail (il est observé un taux baissier de recours aux CDI et un recours de plus en plus important aux CDD, même si pour cela le libellé de l’article 12 de la loi n°90-11 sur les relations de travail soit violé), un recours de plus en plus poussé du recrutement informel, un abandon des outils censés jouer le rôle d’amortisseur social en cas de perte d’emploi dont les moyens sont détournés pour faire face à des dépenses qui relèvent des obligations de l’Etat plutôt que des cotisations sociales».

La fiabilité des chiffres, un frein à la régulation du marché du travail

Le rapport de la Banque mondiale sur le marché du travail en Algérie plaide pour l’amélioration de la qualité des données statistiques, arguant du fait que le maintien de l’opacité autour de la question de l’emploi et des salaires ne contribue en aucune façon à la paix sociale. «Pour une plus grande transparence dans la régulation du marché du travail, une diffusion régulière des informations sur l’emploi et les salaires contribuerait, à sa manière, à réduire les tensions sociales», est-il souligné, dans le rapport.
 
Amel Blidi El watan 20.11.11

Ansej : les fournisseurs refusent de jouer le jeu

Après la nouvelle instruction du dg visant à éviter les malversations

Des milliers de jeunes entrepreneurs, qui ont créé des entreprises dans le cadre du dispositif de l’Ansej, n’arrivent plus à se faire délivrer des matériels et des équipements de production commandés chez leurs fournisseurs respectifs. Cette situation, qui embarrasse les jeunes entrepreneurs, est la résultante d’une instruction datée du 22 octobre 2011 qui instruit les directeurs de wilaya de ne plus délivrer les chèques de banque libellés au nom des fournisseurs représentant les 70% du reste de la commande jusqu’à la livraison de la totalité du matériel et équipement commandés.
Cette décision aurait été prise, selon une source de l’Ansej, pour éviter les transactions douteuses de certains fournisseurs qui “encaissent de l’argent et mettent plusieurs mois pour délivrer le matériel aux jeunes”. Seulement voilà, cette instruction qui, paradoxalement, ne concerne que les équipements de production, puisque le matériel roulant (véhicules, camions) est exempté, a carrément mis, ces derniers jours, un frein à une grande partie du dispositif comme elle a envenimé davantage les relations commerciales entre les jeunes investisseurs avec leurs fournisseurs. Et pour cause, les rares fournisseurs de certaines catégories de matériels et qui sont connus pour leur sérieux refusent de satisfaire la commande suivant cette nouvelle formule.
“Je ne peux pas livrer 8 millions de dinars  d’équipements sans aucune garantie de recevoir les 70% du montant”, affirme un fournisseur installé à Alger et connu pour avoir alimenté l’essentiel des entreprises Ansej existantes sur le territoire national en matériels de nettoyage et de mécanique. Notre interlocuteur trouve “absurde cette décision qui ne s’applique qu’aux fournisseurs des équipements de production et qui est prise sans nous donner des garanties suffisantes pour le paiement de la totalité de notre marchandise”, précise-t-il. Même son de cloche chez un fournisseur de matériels de plomberie basée à El-Harrach et Constantine et qui refuse, lui aussi, de livrer les équipements aux jeunes avec cette nouvelle formule.
“Cette décision nous met mal à l’aise avec les jeunes entrepreneurs qui sont, par centaines, à avoir commandé du matériel auprès de nos succursales puisqu’on ne va pas leur livrer leurs équipements”, indique-t-il. Et d’ajouter : “Il n’existe aucune entreprise au monde qui accepte cela.” Un fournisseur spécialisé dans la vente du matériel de jardinage trouve, lui aussi, “anormale” cette décision. “On ne doit pas nous faire payer les erreurs des autres  en mettant tout le monde dans le même sac”, dira-t-il, avant de souligner que ses magasins ouverts dans quatre wilayas du pays ont toujours satisfait les besoins des jeunes entrepreneurs de l’Ansej et de la Cnac. “On est prêt à délivrer des attestations garantissant la disponibilité du matériel et prêt à accueillir un huissier de justice dans nos magasins, mais il est hors de question de livrer le matériel sans aucune garantie bancaire”, dira-t-il.
Du côté des jeunes, c’est l’embarras le plus total. Saïd, un jeune entrepreneur de Réghaïa, qui a cru au dispositif, a mis deux années pour créer son entreprise. Mais il voit ses espoirs s’envoler après que trois de ses fournisseurs lui eurent signifié de ne pas lui délivrer ses équipements. “Ils ont encaissé le chèque de 30% lié à la commande, mais ils ont refusé de me délivrer le matériel et le bon de livraison jusqu’à paiement des 70% du montant”, dit-il. Saïd affirme aussi que ses fournisseurs lui ont proposé de lui fournir “une attestation de disponibilité du matériel et pas plus”. L’un d’eux lui a demandé “une attestation d’engagement de la banque” à payer les 70% représentant le montant de la facture pour pouvoir l’approvisionner. “Lorsque je me suis plaint aux responsables de l’Ansej, on m’a demandé de changer de fournisseurs, or deux de ses fournisseurs sont les seuls en Algérie à commercialiser ce genre d’équipements”, souligne-t-il. Une source proche de la direction de l’Ansej d’Alger admet ces difficultés et dit que les responsables réfléchissent pour trouver une solution avec les banques. “Une réunion avec les banques doit normalement intervenir incessamment pour permettre de trouver une solution de nature à protéger ces jeunes entrepreneurs et qui permet de donner des garanties aux fournisseurs.”  Notre interlocuteur a justifié la décision du nouveau DG de l’Ansej par les multiples plaintes d’escroquerie émanant des jeunes entrepreneurs qui courent toujours derrière leurs équipements alors que leurs fournisseurs ont encaissé la totalité des chèques libellés à leur nom, dira-t-il.

Madjid T.Liberté 06 Décembre 2011