La trop longue absence du champ politique et social
Aucune société n’est en mesure de se passer de l’activité de son élite intellectuelle, que l’on appelle aussi intelligentsia, pour la guider dans son développement et lui tracer les voies de son devenir.
L’élite intellectuelle d’un pays est, rappelons-le, constituée par l’ensemble des hommes et des femmes, de savoir et de culture, pleinement convaincus de leur rôle et engagés dans la concrétisation des idées qu’ils prônent et défendent. L’intelligentsia, de par sa nature même, s’oppose au pouvoir dont elle observe de manière critique l’action et qu’elle dénonce chaque fois qu’il prend un chemin qu’elle juge dangereux pour la société. En contrepartie, l’intelligentsia propose les solutions idoines aux problèmes posés et se bat pour leur concrétisation, y compris en mobilisant les populations concernées et en portant le combat dans la rue. L’intelligentsia, prise comme un ensemble, n’est ni homogène ni porteuse d’une idéologie unique : ses membres appartiennent à des familles de pensées différentes et parfois antinomiques. Les différentes familles confrontent leurs idées, même de manière violente (hors violence physique, bien entendu) pour que les unes et les autres soient entendues et prises en considération par « l’adversaire » de manière à mettre un terme à la « dictature » d’un camp sur l’autre, comme c’est le cas dans les sociétés à régime totalitaire. Quid de l’Algérie ? Dispose-t-elle encore d’une élite intellectuelle ? On pourrait en douter, compte tenu de son silence sidéral au cours de la décennie écoulée. C’est à croire que l’Algérie a réglé tous ses problèmes fondamentaux et n’a plus de combat à mener pour définir et concrétiser des choix de société : elle n’a donc plus besoin d’une intelligentsia pour trouver des solutions à des problèmes de société qui n’existent plus. Tout se passe comme si l’Algérie est devenue une société idéale dans laquelle rien ne doit être changé. Ou alors, plus prosaïquement, les Algériens ont volontairement laissé les rênes de l’évolution sociale à des hommes providentiels qui ont à leur crédit la libération du pays et qui sont donc les mieux placer pour servir de guides à la nation toute entière : c’est le fameux concept de « famille révolutionnaire », qui a pris en otage le pays, sous prétexte que c’est elle qui l’a libéré des griffes du colonialisme. En fuyant le débat (le combat est le mot juste), l’élite intellectuelle algérienne a laissé le champ libre à tous ces prédateurs, adeptes de la défense des « constantes nationales » et membres de la famille révolutionnaire. Tous savent pourtant que ces hommes providentiels sont ceux-là mêmes qui ont mis en place un système qui perdure jusqu’à nos jours, et qui a consisté à confisquer à leur seul avantage tous les bienfaits de l’indépendance du pays et à monopoliser la rente qui en a découlé. Le dernier avatar de ces hommes providentiels est bien sûr l’actuel président de la République ramené par les décideurs du moment pour sortir le pays de l’ornière dans laquelle l’ont mis dix ans de guerre civile. Cette mission, il l’a plus ou moins menée à bien par une politique judicieuse de concorde civile, qu’il tient à transformer en concorde nationale et d’accaparement effréné de tous les pouvoirs. Nous en sommes aujourd’hui à la phase finale de mise en place d’un système politique qui lui est totalement inféodé, qu’il semble décidé à renforcer encore plus et à pérenniser. Il est évident que le silence de l’intelligentsia, quelle que soit sa cause, ne peut être que néfaste pour l’ensemble de la société. C’est à un retour au consensus antérieur et à la pensée unique qui ont fait tant de mal au pays que nous assistons. Sauf qu’au cours de la période antérieure à la décennie 1990, l’avant-garde de l’intelligentsia nationale s’est totalement impliquée dans la bataille et a marqué de son empreinte cette période : l’influence des intellectuels, restés au pays ou exilés, a été fondamentale : les écrivains, les cinéastes, les chanteurs, les universitaires et autres (tels certains opposants politiques) ont joué un rôle non négligeable dans l’orientation progressiste et universaliste qu’avait prise le pays. Avec la crise du début des années 1990, nos intellectuels se sont petit à petit recroquevillés sur eux-mêmes et ont fini par quitter l’arène ; ils ont laissé le pouvoir et l’opposition armée islamiste dans un tête-à-tête sanglant. Historiquement, on peut dater la dernière intervention sur la scène politique d’une partie de l’intelligentsia nationale aux années 1991/1992 avec la mise en place et l’entrée en action du comité de sauvegarde créé autour du défunt Abdelhak Benhamouda, pour tenter de sortir l’Algérie du danger islamiste intégriste qui la prenait dans ses griffes. On connaît le résultat de cette implication avec l’intervention de l’armée qui a annulé les élections législatives et les dix ans de guerre civile et d’atrocités qui ont suivi cette annulation. Depuis cette opération que les uns qualifient de sauvetage de l’Etat et de la nation et d’autres de « première violence » qui a justifié le recours au terrorisme et à la violence armée islamiste, les intellectuels algériens de valeur se sont progressivement retirés et ont laissé le champ libre aux apprentis sorciers, tenants de l’immobilisme social, qui ont mené le pays sur la voie de la régression (très loin d’être féconde !) Le retrait des élites du champ social (pris ici dans son sens le plus large englobant le politique, l’économique, le culturel et le social proprement dit) pouvait trouver sa justification dans la chasse qui leur a été faite d’une part par le terrorisme islamiste qui en a tué, blessé et traumatisé un nombre considérable (le terrorisme islamiste avait même créé une organisation spéciale, le FIDA, chargée d’éliminer systématiquement tous les intellectuels qui représentaient un danger pour le développement de l’idéologie islamiste) et par le pouvoir qui a mené une chasse féroce aux cadres dirigeants et supérieurs qui tenaient à bout de bras, contre vents et marées, les machines économique et administrative. Une partie importante des intellectuels a, de ce fait, quitté le pays et s’en est allée grossir les rangs de la diaspora algérienne en Europe et au Canada ; ceux-là dans leur quasi-totalité ne s’occupent plus que d’assurer leur situation matérielle et celle de leurs enfants : exit les problèmes du pays ! Ils clament haut et fort qu’ils ont assez donné au pays tout le temps qu’ils y sont restés, et que celui-ci ne leur a rien rendu en échange. Ceux qui n’avaient pas les moyens d’émigrer (ou qui, par patriotisme, refusaient de quitter le pays) se sont retirés du devant de la scène, le plus souvent par peur du terrorisme (islamiste d’un côté et d’Etat de l’autre) et sont tombés dans un mutisme qui dure encore de nos jours. La situation sécuritaire s’étant très sensiblement améliorée, la peur qui paralyse les esprits et annihile les initiatives n’a plus lieu d’être. D’un autre côté, les problèmes de fond de la société, jusque-là mis entre parenthèses pour cause de lutte antiterroriste, ont ressurgi dans toute leur ampleur et repris leur place au sein de la société. Ils ont un urgent besoin d’être débattus et traités de manière à leur donner les solutions idoines ; celles qui épousent le sens de l’histoire et non pas qui s’opposent à lui. Les sujets qui fâchent et divisent la société sont nombreux et doivent nécessairement faire l’objet de débats et de confrontations d’idées entre nos intellectuels de tous bords idéologiques. C’est l’avenir même de la nation qui est en jeu. En gros deux courants d’idées contradictoires s’affrontent au sein de la société : celui qui veut être au diapason de la modernité et de l’universalité et celui, plus conservateur, qui se bat pour maintenir les choses en l’état, avec comme justification idéologique, le nationalisme dont il se prétend le détenteur exclusif et l’Islam qui est utilisé pour justifier l’injustifiable. Des deux courants, seul le deuxième se donne les moyens de son combat et dresse, à chaque fois que l’occasion lui est offerte, un véritable barrage d’artillerie pour tenter de bloquer toutes les initiatives qui ne vont pas dans le sens du maintien des choses en l’état. Le cas de la réforme du code de la famille et de celle de l’école sont encore là pour en faire la démonstration : seuls se battent les tenants du conservatisme social. Les autres (les modernistes, les progressistes, les démocrates, les laïcs ou quel que soit le nom qu’on leur donne) brillent par leur absence du champ de bataille. Une manière de laisser face-à-face un président « réformiste » et les islamistes adversaires de la réforme. « Qu’ils se débrouillent entre eux », semblent-ils dire ! On en est arrivé à la situation paradoxale suivante : la défense des idées démocratiques et universalistes a été laissée au seul président Bouteflika. Tout se passe en effet, comme si tous ceux qui appelaient de leurs vœux l’émergence d’un système réellement démocratique ont baissé les bras, cessé de lutter, et consciemment ou non donné procuration au président de la République pour mener le combat à leur place. Résultat, le président Bouteflika apparaît aux yeux de tous comme le seul barrage efficace face aux manœuvres et à l’avancée inexorable du camp islamo-conservateur. Il est donc de ce fait le seul vrai défenseur du progressisme social, de la modernité et de l’universalité. Il est vrai que, politiquement, le président détient entre ses mains l’ensemble des cartes gagnantes : il est l’arbitre suprême de tout ce qui se fait et se fera en Algérie, au moins jusqu’aux prochaines élections présidentielles. Et il en joue avec maestria et sans aucun risque réel. Qu’on en juge : depuis le plébiscite du 8 avril dernier, il est devenu le seul maître du jeu politique algérien ; il concentre entre ses mains la totalité du pouvoir, y compris celui occulte, que la quasi-totalité des observateurs attribuait à l’armée. A l’Assemblée nationale, il détient une majorité écrasante, qui plus est, comprend tous les courants idéologiques qui traversent la société algérienne : les trois partis de l’Alliance présidentielle bloquent toute possibilité d’une véritable opposition au sein de l’APN. Et ce ne sont pas les gesticulations stériles des députés des partis de Djaballah (El Islah) et de Hanoun (PT) qui changeront quelque chose à cette vérité-là : tout ce que voudra faire passer le président passera sans problèmes. L’opposition déclarée du HMS et de quelques députés FLN contre les quelques amendements que le président veut apporter au code de la famille ne sont là que pour faire croire à la dureté du combat qu’il mène contre les tenants de l’immobilisme social. Dans la réalité, au moment où il le faudra, tous les députés HMS, RND et FLN voteront comme un seul homme le projet défendu par le président. Le contraire signifierait la fin du système politique actuel, dont aucun des trois partis ne veut.
Où se trouvent les membres de l’intelligentsia algérienne dans tout cela ? Nulle part. Ou plutôt bien au chaud chez eux, ou, pour un grand nombre d’entre eux, à l’étranger. Dans tous les pays du monde, les élites intellectuels sont des phares ou des guides pour les citoyens. Rappelons que les intellectuels ne sont pas uniquement toutes ces personnes qui ont eu la chance de suivre un cursus universitaire qui les a menées à un niveau académique élevé ; ce sont aussi tous ceux, très instruits ou non, qui par leur activité brassent des idées, cherchent à améliorer les choses au sein de la société et sont en permanence mobilisés pour faire aboutir leur combat : les artistes, les militants du mouvement associatif, les syndicalistes, les universitaires et bien d’autres, y compris les imams et autres intellectuels religieux font partie de l’intelligentsia. Les intellectuels sont en même temps des brasseurs d’idées qui font évoluer la société et des militants qui n’ont pas peur de mener des combats de rue pour faire triompher ces mêmes idées. En Algérie pourtant, malgré les montagnes de problèmes qui se posent, c’est à une absence presque totale des intellectuels que l’on assiste, aussi bien dans le domaine de la confrontation des idées que dans celui du combat militant. L’Algérie n’a pourtant jamais autant eu besoin qu’aujourd’hui de ses intellectuels pour la sortir de l’ornière dans laquelle elle se trouve et pour lui redonner espoir dans l’avenir. L’Algérien a besoin d’espoir ; il veut s’accrocher à quelque chose de concret, qui lui rende une fierté de citoyen et de patriote, qu’il a totalement perdue à cause d’un système politico-économique conçu par des prédateurs, pour des prédateurs. Qui peut mieux qui des élites intellectuelles convaincues et combatives mener ce combat pour remettre le pays sur la voie du progrès et du développement ? Les causes à défendre ne manquent pas. Nous avons parlé des réformes du code de la famille et de l’école. Il n’est pas encore trop tard pour enclencher un vrai débat sur ces deux projets fondamentaux et sur le contenu des réformes proposées. Et même si les jeux semblent déjà faits quant au contenu des projets, le fait même d’en discuter et d’en débattre publiquement pourra faire avancer les choses. La réforme de l’école est certainement la réforme fondamentale que toute la société attend, même si ses effets ne se feront sentir qu’au bout d’une génération. C’est tout l’avenir du pays qui est en jeu : on ne peut pas laisser les autorités décider seules du contenu que prendra une réforme aussi essentielle. Il est vrai que ce sujet a déjà fait l’objet, au sein de la commission Benzaghou, d’un chaud débat entre tenants et adversaires d’un système éducatif véritablement accroché au train de la modernité et de l’universalité, et a donné lieu à un rapport (très moderne dans ses dispositions) qui semble servir de base aux réformes introduites graduellement dans le système d’enseignement. Mais cela ne peut suffire : il faut que le débat continue afin que les réformes envisagées ne soient pas vidées de leur sens premier qui est de rendre à l’école le lustre qui doit être le sien et, surtout, lui redonner le rôle de formation à la citoyenneté qui est essentiel et qu’elle a perdu depuis longtemps. Il en est de même pour toutes les réformes fondamentales envisagées : réforme de la justice, réforme de l’Etat constitutionnelle... Toutes ces réformes ont un impact très grand sur le type même de société qui se met en place. C’est bien pour cela que l’implication des élites intellectuelles, dans le débat, est indispensable. Rien n’est plus dangereux que de laisser les technocrates agir seuls et décider de tout ce qui est bon ou mauvais pour l’ensemble de la société. Des intellectuels compétents, engagés et combatifs, l’Algérie en a de tout temps possédé. Selon les périodes, en fonction des nécessités historiques, elle a connu d’immenses personnalités politiques qui se sont battues pour l’indépendance du pays, souvent les armes à la main (l’Emir Abdelkader, Messali Hadj, Abdelhamid Benbadis, Ferhat Abbas, Abane Ramdane, Bachir Hadj Ali, Frantz Fanon, Henri Alleg...). Elle a eu aussi ses hommes et femmes de l’art, dont un grand nombre de très grands écrivains (Kateb Yacine, Mouloud Mammeri, Mouloud Feraoun, Assia Djebbar, Moufdi Zakaria...), ses universitaires (Mostefa Lacheraf, Mohamed Harbi, Mahfoud Kaddache...), ses artistes (Mohamed Issiakhem, Baya, Hadj M’hamed El Anka,Cheikh El Hasnaoui, Slimane Azem, Idir...), ses journalistes (Aïssa Messaoudi, Abdelhamid Benzine,Saïd Mekbel...) et bien d’autres qu’il est impossible de tous citer.
Microcosmes fermés
Dans tous les domaines de l’activité sociale, l’Algérie possède une relève imposante. Ce qui manque à cette relève, c’est le courage (ou la motivation) de s’impliquer dans les combats de l’heure. Il ne manque pas d’écrivains de renom pour porter haut la voix de l’Algérie et lui rendre une âme et un attrait qu’elle a perdus à cause de ses démons qui ont pour noms nationalisme étroit et islamisme rétrograde. Les seuls écrivains (les vrais, pas ceux qui squattent l’Union des écrivains algériens), qui s’expriment et tentent de faire avancer les choses, le font de l’étranger où ils sont installés. Le système éditorial algérien ne leur offre pas les moyens de percer et, surtout, de rayonner : c’était déjà vrai, il y a longtemps (les Dib, Mammeri, Djebbar, Djaout, Boudjedra, Kateb..., n’ont pu être lus que parce que des éditeurs français ont bien voulu les publier). Cela l’est encore plus aujourd’hui : Khadra, Sansal, Metref, Saâdi, Mostghanemi et bien d’autres n’existeraient pas sans leurs éditeurs étrangers. Les quelques universitaires qui publient ou qui participent à travers la presse aux débats de l’heure sont rares et restent confinés dans des microsociétés très fermées (il existe de très nombreuses compétences qui, volontairement ou non, se sont isolées à l’intérieur d’instituts ou d’associations à caractère universitaire et scientifique de renom et qui se contentent de réaliser des travaux destinés à un public très restreint de spécialistes et dont l’impact social est nul). Ceux qui ont pu sortir de cet isolement ont fait la démonstration de l’existence de vraies compétences : rappelons-nous l’intrusion réussie du professeur Mohand Issaâd dans la vie publique à la faveur de la commission de réforme de la justice et celle d’enquête sur les événements de Kabylie. Ses positions courageuses, sa foi inébranlabe dans le droit et sa droiture ont fait l’unanimité et ont permis à la société algérienne toute entière de comprendre les tenants et les aboutissants des deux affaires qui lui ont été confiées et de se forger une idée plus juste de la situation. Le cas du professeur Issaâd n’est pas unique : d’autres universitaires sont sortis de l’anonymat dans lequel ils se trouvaient, à la faveur d’événements particuliers. Le professeur Benzaghou et le professeur Sbih ne sont sortis de l’anonymat que grâce aux commissions de réforme qu’ils ont eu à présider. Le professeur Raddouh est devenu connu à la faveur de son livre sur Boumârafi, l’assassin du président Boudiaf. Beacuoup d’autres compétences, reconnues au sein de leurs seules microsociétés, gagneraient à être connues par la majorité de la population. Il faut reconnaître que quelques universitaires de renom commencent à donner, dans la presse, leurs avis sur les problèmes de la société. Le nom que l’on rencontre le plus souvent, tant ses écrits sont nombreux (et de qualité), est celui du professeur Chems Eddine Chitour. Il est loin d’être le seul, et c’est tant mieux. Mais tous ont le défaut majeur de s’exprimer dans un langage et selon une méthode propres aux universitaires. Ils oublient qu’ils s’adressent à des lecteurs de journaux et non pas à des étudiants. Ils ne semblent pas conscients que leur impact n’en est que plus limité. C’est très dommage pour les idées qu’ils défendent, qui méritent un meilleur destin. Quelques autres personnalités ne manquent aucune occasion de s’exprimer sur les problèmes de l’heure ; toujours à travers la presse privée. Mais là encore, ce sont toujours les mêmes qui reviennent et qui donnent la fâcheuse impression que leur nombre est très limité, ou qu’ils sont les seuls à avoir le courage de se mettre en évidence, avec tous les risques que cela peut entraîner, en cas de retournement de situation. Nos intellectuels n’ont en effet, dans leur immense majorité, aucune confiance en les institutions, et ceux qui sont censés les représenter ; ils n’ont aussi aucune confiance en l’avenir : pour eux, à n’importe quel moment, la situation peut changer toujours en leur défaveur. Et ce n’est pas la malheureuse mésaventure de Mohammed Benchicou, le directeur du quotidien Le Matin, qui paye par une condamnation à deux années de prison, un excès de liberté de ton, qui peut les rassurer. Tous pensent que si ce n’est pas l’islamisme qui demain viendra leur faire payer cher leurs prises de position, ce sera le pouvoir qui le fera, en reprenant les choses en main et en remettant en cause une liberté d’expression qui n’est pourtant que de façade. Autant ne jamais s’afficher et rester à l’écart : c’est la seule manière de ne pas payer le prix fort pour des prises de position trop affirmées. Conclusion : les problèmes fondamentaux du pays se résoudront sans la majorité de nos intellectuels. Que les solutions retenues ne correspondent pas à l’idée qu’ils en ont n’a aucun intérêt. Comme n’a aucun intérêt que le pays avance à reculons et soit dépassé par tous les autres pays se trouvant dans la même situation. Cela ne fera que les confirmer dans la croyance qu’ils ont que « tout est fichu » et qu’il n’y a plus rien à faire pour redresser la situation. Des remords ? Ils n’en ont aucun : ce n’est pas de leur faute, « c’est de la faute au système » et c’est surtout, « de la faute au peuple qui accepte tout ». Et c’est là que le bât blesse : nos intellectuels ont perdu de vu la fameuse formule de Victor Hugo, selon laquelle « les poètes sont des phares » qui aident les sociétés à bien naviguer et à éviter les écueils. Notre intelligentsia ne veut pas être ce phare !Grim Rachid